Projet de nouvelle Constitution : Le Mali vers le choix d’une “Démocratie totalitaire” ?
Le 27 février 2023, la Commission de finalisation a remis officiellement au Président de la Transition, Chef de l’Etat, le projet de nouvelle Constitution de la République du Mali. Un acte qui a enclenché le processus vers un Referendum de validation ou non de la prochaine loi fondamentale de la République du Mali. Cependant, il existe de forte chance qu’il soit plus qu’une validation vue l’engouement populaire autour des dirigeants actuels de la transition malienne.
Il faut signaler, en outre, que ledit projet de constitution comporte beaucoup de points qui sont effectivement salutaires parce que pouvant être considérés comme des avancées notoires dans une démocratie. Pourtant, le renforcement des pouvoirs du Président de la République vient bouleverser nombre de ces progrès. En effet, il apparait comme si les rédacteurs du projet ont été inspirés à partir du principe de base que depuis l’avènement de la Démocratie au Mali les Présidents ont toujours été très forts et ont quasiment gouverné de manière solitaire dans la réalité des faits. Et partant de cette base, ils ont choisi alors de légaliser une bonne fois la pratique en l’érigeant comme la gestion officialisée du système politique de la nation. Mais, en adoptant une telle méthode n’ont-ils pas encore mieux étalé le lit de toutes ces dérives qui nous ont amené dans la situation de crise profonde dans laquelle nous nous trouvons présentement ?
Une analyse de certaines dispositions du projet pourrait éventuellement nous orienter dans notre démarche.
De prime abord, dans l’observation des dispositions concernant le Président de la République, nous remarquons qu’il détermine la politique de la Nation, qu’il nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions, qu’il nomme également les autres membres du Gouvernement, après consultation du Premier ministre et met fin à leurs fonctions. Lorsque nous examinons de plus près les changements apportés à ces niveaux, nous constatons nettement de nouvelles fonctionnalités qui affaiblissent fondamentalement le Premier ministre au profit du Président de la République. Ainsi, le PM ne détermine plus la politique de la Nation, il le conduit seulement. Également, il ne fait plus de Déclaration de politique générale, il ne présente que le plan d’action du gouvernement, qui ne nécessite même pas de vote des parlementaires. Ce qui justifie qu’il ne soit plus responsable devant les parlementaires, mais devant le Président de la République. De fait, le PM s’est transformé en un haut secrétaire national du Président de la République, à l’instar des Premiers ministers, sous le magistère du Président Moussa Traoré. Par conséquent, la Primature devra être allégée, en personnel et en budget. Aussi, il n’existe plus une réelle opposition parlementaire, l’opposition ne se verra désormais que lors des joutes électorales présidentielles. Précisément, quelle que soit la couleur du parlement, il ne peut plus provoquer une cohabitation parce que dans toutes les situations possibles le Président reste le seul à pouvoir choisir le Premier ministre et cela sans aucun égard sur la réalité au sein du parlement. Un fait qui doit sincèrement interpeller à propos du statut de l’opposition en général et, au sein du parlement en particulier.
Par ailleurs, le parlement ne sert plus que le Président, parce qu’il ne peut plus y avoir de motion de censure contre le gouvernement, il perd dès lors son arme fatale. Des sénateurs sont désignés par le Président de la République, donc ils lui devront absolument reconnaissance. Il importe quand même de faire remarquer ici qu’une disposition aussi immense au niveau du Senat devrait pouvoir revêtir un caractère plus impersonnel. Ensuite, le Président de la République garde ses prerogatives, concernant la dissolution de l’Assemblée nationale, une épée de Damoclès terrible à sa disposition sur les parlementaires. Même la mesure de destitution pouvant paraitre comme un contrepoids de la toute-puissance du Président de la République, sera très difficile à déclencher parce que le fonctionnement du parlement ne s’y prête guère sur le terrain. Surtout, qu’il sera permis que les deux presidents des deux chambres après leur première année, soient exposés à la destitution, un mécanisme qui va les rendre plus dociles et plus disposés à servir aveuglement le pouvoir en place.
En ce qui concerne l’appellation de la deuxième chambre, il faut faire observer un défaut énorme de recherche originale. Ce qui va, à la longue, ressortir des carences au niveau de la symbolique. Nous devons intégrer que la psychologie à un rôle non négligeable dans la gestion d’une nation. L’appellation générique Sénat démontre le mimétisme et l’absence d’originalité, de particularisme. Le membre de la deuxième chambre du parlement malien se sentirait mieux en haut conseiller national qu’en sénateur. La désignation sénateur dans la culture populaire locale illustre plus fanfaron, dépensier ou renvoie à une chose importée, introduite. Tandis que l’appellation haut conseiller national aurait pu symboliser la traduction d’un existant traditionnel, de connu.
Au-delà de ces considérations socio-politiques sus-mentionnées, il existe d’autres pouvoirs augmentés du Président de la République dans le projet. Dans la désignation des conseillers de la Cour constitutionnelle, à l’exception des deux enseignants-chercheurs de droit public désignés par un collège constitué par les recteurs des universités publiques de droit et celui choisi par l’Ordre des avocats, le Président de la République peut influer sur la désignation des six autres. Et lorsque l’on sait, que le projet octroie toujours à cette cour le pouvoir d’intervenir de façon significative dans les élections présidentielles, dans les élections des députés et dans celles des sénateurs ainsi que dans les désignations de certains parmi ces derniers, on peut s’inquiéter. Il faut quand même rappeler que la crise politique de 2020 à pour source principale les manipulations au sein de cette cour lors des proclamations définitives des élections législatives. Enfin, le Président de la République reste le président du Conseil supérieur de la magistrature, une position qui pourrait lui faciliter des manœuvres au cœur de l’appareil judicaire, et ainsi diminuer le poids de ce dernier face à l’exécutif.
Pour terminer, nous pensons que la gestion du système politique d’une nation doit s’efforcer à trouver les équilibres obligatoires pour la pratique d’une bonne gouvernance. Elle doit anticiper sur l’évolution du peuple concerné en cherchant des mécanismes qui favoriseraient le vivre ensemble, la cohésion sociale et le maintien d’une conduite apaisée. Et, elle doit impérativement éviter de faire sa construction sur des existants qui n’apportent pas réellement à l’harmonie exigée entre les forces de gestion publique. En concentrant plus de pouvoirs au profit d’un organe, et au détriment d’autres qui sont nécessaires à l’équilibre structurel, on contribuerait à créer des conflits futiles ou des subordinations incohérentes, des éléments bien néfastes à la sérénité d’un Etat, et qui pourraient conduire vers une anomie certaine. N’oublions pas que De Gaulle a initié la cinquième République française en 1958, alors que la première cohabitation n’est devenue effective qu’en 1986. La gestion d’un pays doit respecter l’innovation et l’anticipation, mais pas le consensus stérile ou dangereux.
Une analyse de
Moussa Sey Diallo