Délestages d’électricité : Les recettes de Moussa Mara pour en mettre fin
Ils constituent le principal sujet de préoccupation de nos compatriotes, notamment ceux vivant dans les centres urbains y compris la capitale Bamako, qui sont fortement impactés par le phénomène. Le terme « délestages » est le plus utilisé par chacun dans la journée, en ces moments de forte chaleur et dans la période du Ramadan où les besoins en électricité sont très élevés.
Nous avions tous oublié l’importance de l’électricité dans nos vies car depuis plus de vingt ans, nous en disposions. Subitement, chacun se rend compte que sans électricité, il n’y a pas d’activité économique. Aujourd’hui des milliers de tailleurs, menuisiers, soudeurs, vendeurs d’aliments sont au chômage avec son cortège de drames sociaux. Sans électricité, les soins à apporter aux populations deviennent moins efficaces, ce qui cause aussi de nombreux décès. L’école subit également les affres de l’insuffisance d’électricité. C’est ainsi tous les pans de la société qui sont impactés. L’État se verra sans doute privé d’une partie de ses revenus fiscaux, ce qui va encore alourdir la crise économique et financière que le pays traverse.
Nous devons tout faire pour sortir des délestages d’électricité, à tout le moins, les réduire au maximum pour alléger les souffrances de nos compatriotes. Cela doit être placé au-dessus de toutes les autres considérations. Pour ce faire, il est nécessaire de faire un état de la situation, examiner les alternatives dont nous disposons pour ensuite faire quelques suggestions en termes de solutions immédiates mais aussi de perspectives qui maintiennent la disponibilité de la fourniture d’électricité et dans les meilleures conditions possibles.
Le système de fourniture d’électricité au Mali se déploie à travers un réseau interconnecté qui couvre l’essentiel de la demande et des centres isolés essentiellement couverts par des groupes installés localement (Mopti, le Nord du pays…). Le réseau interconnecté représente ainsi plus de 95% de la demande d’électricité et au sein de ce réseau, la ville de Bamako constitue 80% des besoins. Le besoin du réseau interconnecté, pour 2024 est d’environ 3100 Gigawattheures (258 GWH par mois). Pour Bamako, il est d’environ 2500 GWH soit en moyenne 208 GWH par mois.
Pour répondre à ces besoins, nous disposons des centrales thermiques de Bamako, des barrages hydro-électriques (Selingue, Manantali, Gouina et Felou), de la centrale solaire de Kita qui ne fonctionne que pendant le jour et de l’électricité achetée en Côte d’Ivoire. La société Energie du Mali (EDM) gère ces possibilités et surtout les contraintes qui leur sont liées et celles-ci sont malheureusement nombreuses. Pour les centrales thermiques, il faut du Gaz oil et la société n’a pas les moyens de l’acheter en quantité suffisante. En outre, la production d’électricité par ce moyen se fait à perte, autrement dit, à chaque fois qu’on utilise ces centrales, la société s’enfonce et nous tous avec ! Cela reste valable même avec du carburant acheté auprès du Niger. Pour les barrages, outre le fait que le Mali partage l’électricité avec le Sénégal et la Mauritanie, le niveau de l’eau disponible n’est pas assez élevé pour autoriser une grande production d’électricité en raison des faibles pluviométries de l’année dernière. Il ne faut donc pas attendre d’amélioration de ce côté, pas avant la fin de l’hivernage en tout cas.
Il reste l’électricité vendue par la Côte d’Ivoire, qui est très réduite en raison des factures impayées mais qui reste la moins chère des sources d’électricité pour le Mali (65 FCFA le Kilowatt contre plus de 200 FCFA pour les groupes par exemple. Seulement 10% de cette électricité est fournie actuellement, ce qui sous-entend qu’il existe un potentiel exploitable. Ce potentiel est d’environ 65 GWH soit le tiers des besoins des Bamako.
Dans l’immédiat, c’est la seule possibilité qui reste utilisable pour le Mali et elle permettrait de réduire les délestages à Bamako d’au moins 50%. Au lieu d’avoir 12H d’électricité par 24H, on pourrait en avoir 18, ce qui serait un progrès majeur. Il est souhaitable d’entrer en négociation avec les Ivoiriens, obtenir un rééchelonnement de la dette à leur égard, sans doute payer une partie en guise de bonne volonté, obtenir la fourniture immédiate d’électricité et nous engager à payer ce que nous recevons et à éponger peu à peu la dette restante. Par exemple on pourrait affecter le bénéfice issu de l’utilisation de l’électricité reçue (35 FCFA par Kilowattheure soit environ 2,5 milliards de FCFA par mois) vers le remboursement de nos arriérés. A ce rythme on pourrait payer environ 30% de ce que nous devons en un an. Il est certain qu’un plan de ce type devrait suffire à convaincre les Ivoiriens de reprendre les relations commerciales de fourniture d’électricité avec le Mali.
Dans l’immédiat, c’est ce qu’il faut engager. On pourrait réduire les délestages au moins jusqu’en août et avec la saison des pluies, on pourrait les réduire encore davantage. Nous pourrons ainsi arriver à la fin de l’année 2024 avec un niveau de délestage d’environ 2 à 3H par jour et cela sans détériorer la situation financière d’EDM. L’objectif à moyen terme d’en finir totalement avec les délestages, sera atteint en nous tournant vers la coopération avec nos voisins et vers l’énergie solaire. Cela peut être atteint à la fin de l’année 2025.
Il faut, pour ce faire, urgemment engager des travaux pour renforcer nos lignes de transport (de Manantali à Bamako pour accroître l’énergie à acheminer par ce canal, autour de Bamako pour faciliter la distribution…) et l’interconnexion avec nos voisins (ligne Ghana – Burkina – Sikasso, ligne Ferke– Sikasso, ligne Guinée – Yanfolila et ligne Sikasso – Bougouni – Bamako qui est déjà à Sanankoroba).L’avantage de ces projets est qu’ils sont tous financés car rentables, ils permettent d’acheminer entre nos pays de l’énergie souvent propre et bon marché. Il faut que l’administration soit mise sous pression pour que tous ces projets soient achevés d’ici la fin de l’année 2025.
Parallèlement à ces actions, nous devons nous orienter fermement vers le solaire. Le Modèle de la centrale de KITA est à multiplier. Il faut relancer les dossiers des centrales solaires de Ségou, de Sikasso, de Ouelessebougou et de Fana pour qu’ils soient opérationnels ou en voie de l’être d’ici la fin de l’année 2025. D’autres projets doivent être menés à bien pour qu’en fin 2025, le Mali puisse disposer de capacités solaires au moins égales à celles de la thermique. Il ne sera ainsi fait recours à ce dernier mode que pour faire face à des imprévus.
Les projets actuellement étudiés avec la Russie (solaire, nucléaire…), qui s’inscrivent dans une échelle de temps plus lointaine, viendront compléter ce tableau. Nous assurerons ainsi notre indépendance énergétique en collaboration avec nos voisins comme cela est le cas en Europe, en Asie ou en Amérique. Ce sera un gage d’intégration et de développement partagé indispensable à la réalisation du dessein de l’unité africaine.
Moussa MARA www.moussamara.com