Atteintes au crédit de l’État au Mali : Un délit dénaturé et instrumentalisé par des censeurs courtisans
Nous avons tous cru un moment, que l’atteinte au crédit de l’État concernait tous ceux qui portaient atteinte à la confiance en l’État, en sapant la réputation de ses services ou des autorités qui l’incarnent, par des propos mensongers ou des actes frauduleux, de quelque manière que ce soit. Nous y avons cru à cause du discours ambiant entretenu, par des présumés praticiens du droit pénal dans certains palais. Erreur. Ce délit ainsi perçu n’existe pas pour l’instant au Mali; par contre, il s’apparente pour les individus, à la diffamation, l’outrage, l’offense, selon le cas.
A l’examen du Code pénal malien, les atteintes au crédit de l’État n’existent même pas comme titre en soi, mais associés à un autre délit, pour former une même famille de délits financiers, à la Section 9 du chapitre 12, comme suit : « Des atteintes au crédit de l’état et du refus de payer les impositions, contributions et taxes assimilées ». L’article 167 dispose, dans ses trois paragraphes : « 1. Ceux qui, par des voies et moyens quelconques, ont sciemment propagé dans le public des fausses nouvelles ou des allégations mensongères de nature à ébranler directement ou indirectement sa confiance dans le crédit de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics, de tous organismes où ces collectivités et établissements publics ont une participation. 2. Ceux qui, par des voies et moyens quelconques, ont incité le public à des retraits de fonds des caisses publiques ou des établissements obligés par la loi à effectuer leurs versements dans les caisses. 3. Ceux qui, par les mêmes moyens et dans le but de provoquer la panique, ont incité le public à la vente de titres de rente ou autres effets publics, ou l’ont détourné de l’achat ou de la souscription de ceux-ci, que ces provocations aient été ou non suivies d’effet. ».
En se référant au sens global du titre de la section et de l’article, on voit bien qu’il s’agit de finances : crédit, retraits de fonds, caisses publiques, versements, vente de titres, rente. Mieux, l’article 172 de la même section dispose : « dans les cas prévus aux articles 167, 168 et 169, les poursuites ne peuvent être engagées par le Ministère public [Procureur] que sur la plainte du Ministère des Finances, ou, le cas échéant, à la demande des représentants légaux des organismes intéressés. ». Dans tous les cas débattus récemment dans les palais, je n’ai ouï dire que le Ministère des Finances ou un de ses organismes avait porté plainte, ni vu aucun acte indicatif. Certains semblent croire, que même en droit, la prétendue élasticité du français leur permet de sortir le mot de son contexte et lui faire dire ce qu’ils désirent. Si tout le monde faisait comme eux, à dieu la société, la communauté, la convention, le contrat, le dictionnaire ; le langage même aura perdu de son sens.
Qu’est-ce que c’est que le crédit ? C’est quoi le crédit de l’État ?
Que vous le cerniez au sens étymologique ou littéral, ouvrez n’importe quel dictionnaire spécialisé en français, il vous dira qu’il s’agit de réputation d’être solvable, de pouvoir honorer ses dettes, de pouvoir emprunter de l’argent ou un bien quelconque. Le professeur Albert BORDEAUX, dans sa thèse de doctorat soutenue en 1936 sur « la loi du 12 février 1924 et la répression pénale actuelle des atteintes au crédit de l’État » revient sur la notion de crédit : « le mot crédit qui vient du verbe latin « credere », croire, exprime l’idée d’une croyance, croyance en l’existence de certaines qualités chez une personne, de certains biens à l’intérieur d’un patrimoine. Cette croyance se manifeste par de la confiance accordée à un particulier auquel on attribue telles qualités personnelles ou que l’on croit propriétaire de biens plus ou moins importants. Lorsque cette confiance est accordée pour des faits d’ordre économique, et particulièrement d’ordre monétaire, elle prend le nom de crédit…
Cette confiance doit être fondée sur des bases sérieuses et il apparait nettement à toute réflexion que celles-ci peuvent se ramener à deux éléments essentiels : un élément d’ordre psychologique et moral d’une part, un élément matériel de l’autre. ».
Le crédit de l’État consiste donc, en « la confiance qu’il inspire aux tiers pour le paiement de sa dette en capital et en intérêts ». Le délit de l’atteinte au crédit de l’État est une pâle copie de la loi du 12 février 1924 en France, abrogée par la loi du 18 août 1936 réprimant les atteintes au crédit de la nation. Le professeur Nicholas DELALANDE, grand historien de sciences politiques, a écrit un excellent article sur la genèse de la loi du 12 février 1924 sur la répression des atteintes au crédit de l’État, dans une revue scientifique en 2016, intitulé : « Protéger le crédit de l’État : spéculation, confiance et souveraineté dans la France de l’entre-deux-guerres ».
Il y explique comment les conséquences financières de la première guerre mondiale, conjuguées aux effets de la crise économique mondiale de 1920, ont ébranlé les assises financières de l’État français, au point qu’une partie de l’opinion commençait à croire aux discours politiques sur son insolvabilité. C’est pour circonscrire une telle menace que cette loi fut votée. De crainte d’être long, la doctrine est unanime sur le caractère financier du délit d’atteinte au crédit de l’État. Le droit est clair. Maintenant, cela n’empêche pas que dans une situation hors-la-loi, un censeur puisse s’écrier : le droit, c’est moi ! Ou que dans la confusion du genre, l’incompétence puisse régner.
Allons apprendre, bien apprendre…
Article 58 du Code pénal et crédit de l’État : une tentative de manipulation, pour qui?
Dans cet article 58, on voit bien ce que dit le chapeau de son chapitre: « Des crimes et délits à caractère racial régionaliste ou religieux». Et puis l’expression, « crédit de l’État » est même mieux écrite cette fois, avec un E majuscule. Cette expression utilisée en objet dans la phrase ne peut signifier que l’atteinte à la confiance en la solvabilité de l’État pour des objectifs régionalistes ou religieux (promouvoir une autonomie de sa région, voire son indépendance ; promouvoir un État théocratique etc).
Sinon, si on la prend un instant tel qu’ils le désirent, eh bien, tous les hommes politiques et les analystes doivent être arrêtés. Car, dans ledit article, « Toute propagation de nouvelles [pas mensongères, mais de nouvelles tout court ] tendant à porter atteinte…au crédit de l’État» en ce moment frapperait les opinions suivantes : la corruption est en train de miner ce pays ; nous ne sommes plus dans un État de droit ; nous avons une AN remplie de demi-lettrés ; la justice au Mali est de plus en plus enchaînée ; – etc.
Après ça, qui pourrait parler dans ce pays ? Même pas le Syndicat Autonome de la Magistrature, qui a de nombreux communiqués soutenant de pareils propos. Qui pourrait parler de liberté d’opinion contre les gouvernants ?
S’ils veulent tordre le cou à l’article 58, parce qu’ici, il n’est pas assorti d’une plainte préalable du Ministère des Finances, ce sera encore plus patent qu’ils veulent faire dire au français et au droit ce qu’ils désirent. Le droit, c’est leur personne. Comme disait le roi, l’État c’est moi. Bonjour, la tyrannie des faiseurs du droit ? Et comme toute tyrannie, elle disparaîtra tôt ou tard.
Dr Mahamadou KONATE Juriste publiciste Faculté de droit public Université Catholique d’Afrique de l’Ouest