Incarcération pour expression d’opinions et l’oppression de l’appareil d’État : Ce qu’en pense le ministre Konimba Sidibé
Résister au saccage de l’Etat de droit et mettre en place une gouvernance émancipatrice, pertinente, juste, vertueuse et efficace pour sauver le Mali
La puissance publique de notre pays serait-elle devenue ce monstre froid à broyer tous les citoyens qui osent exprimer une opinion critique sur la gouvernance de leur pays, une machine de saccage de l’Etat de droit et des résistants à ce saccage ?
Absolument oui, rien n’y fait et personne n’y échappe désormais.
Des partis politiques, des associations et des Mouvements se retrouvent publiquement pour échanger sur les enjeux auxquels leur pays est confronté, tracer des chemins à prendre pour faire face à ces enjeux et prendre position publiquement d’une même voix sur tout ça. Les autorités de transition crient aussitôt au complot, à la déstabilisation et recourent à la répression aveugle des dirigeants des parties signataires de la déclaration du 31 mars 2024.
Je dis bien publiquement car tous leurs échanges ont été faits sur un groupe WhatsApp, leurs messages et les projets de documents produits pour construire cette unité d’action ont été partagés sur d’autres réseaux sociaux. Et pourtant, ces projets de documents qui n’étaient que des propositions non validées par les organisations concernées ont été fièrement brandis par les autorités comme preuve d’un projet de déstabilisation.
Où est donc le complot si tant est que ce mot veut dire « projet concerté secrètement afin de nuire (à quelqu’un, à une institution) » – dictionnaire Le Robert.
Où est donc la déstabilisation de l’Etat si tant est que ce mot veut dire « ensemble de phénomènes internes (revendications, manifestations, rébellions, etc.) et internationaux (conflits, actions de puissances étrangères) tendant à mettre en cause l’existence, les bases d’un régime politique, d’une institution, d’un parti, etc. » – dictionnaire Larousse. En vérité, en agissant ainsi ce sont les autorités de transition qui sont en train de semer la graine de la déstabilisation de leur régime.
Que toutes les maliennes et tous les maliens prennent conscience que personne n’échappera désormais à cette répression infernale de l’appareil d’Etat qui est en train de prendre l’allure d’une véritable chappe de plomb sur le pays. Même pas ceux qui bénéficient d’une protection spéciale pour assurer la bonne distribution de la justice que sont les magistrats et les avocats : en violation flagrante des textes de droit qui les protègent deux magistrats ont été radiés de la magistrature et donc de la fonction publique, et un avocat vient d’être embastillé. Que tous les magistrats et tous les avocats du pays le sachent : ce qui est arrivé aux magistrats Cheick Koné et Dramane Diarra, ainsi qu’à l’avocat Mohamed Aly Bathily peut leur arriver à tout moment pour un oui ou un non. Que toutes les maliennes et les maliens comprennent qu’une telle pratique constitue une menace réelle pour tout l’édifice d’équilibre des pouvoirs entre les Institutions de la République au cœur de notre système de gouvernance, et donc une menace pour la République elle-même. Qu’ils sachent qu’aucun groupe socio-professionnel, ni couche de la population, ni citoyen n’est à l’abri de l’arbitraire, de la répression de la puissance publique.
Une des réactions visibles à cette situation : la grande migration des maliens vers l’étranger
Effrayés par un environnement politique et économique de moins en moins rassurant, de plus en plus d’entrepreneurs maliens préfèrent aller investir à l’étranger plutôt qu’au Mali. Une fuite des capitaux aux conséquences désastreuses pour la croissance économique, l’emploi (dans un contexte de chômage massif structurel des jeunes) et pour toutes les autres dimensions du développement humain. Une crise économique fortement aggravée par ; la crise sans précédent de la fourniture d’électricité par Energie du Mali (mise en état de faillite des petits métiers, augmentation insoutenable des coûts et forte baisse du niveau d’activités de nombreuses entreprises, etc.) ; la réduction drastique de l’investissement public consécutive à celle des ressources de l’Etat.
Confrontés à un avenir sans issue au Mali, de plus en plus de jeunes maliens affrontent le désert et la mer pour se rendre en Europe et sauver leur peau à l’instar d’autres jeunes africains, quitte à la perdre au cours de cette migration. D’autres jeunes prennent d’autres voies beaucoup moins recommandables. Peu rassurés par un avenir de moins en moins rassurant au Mali de plus en plus de maliens aisés ou très qualifiés profitent des facilités de migration et d’accès à la nationalité offertes par certains pays occidentaux pour aller s’y installer. Nous ne devons pourtant pas oublier que ces pays qui attirent tant nos compatriotes aujourd’hui en sont arrivés là où ils sont grâce au sacrifice consenti par des générations depuis des lustres.
Partir n’est pas la solution.
3 Que faire donc ?
Rester des spectateurs résignés alors que c’est notre destin collectif de maliennes et de maliens ainsi que nos destins individuels qui sont en jeu ? NON, assurément NON.
Le seul choix qui vaille : Résister, Résister et Résister.
Résister à l’autoritarisme, à l’arbitraire, à l’oppression de l’appareil d’Etat pour préserver et consolider l’état de droit. Résister, pour l’émancipation du peuple malien afin qu’il prenne son destin en main et bâtisse un Mali meilleur pour tous.
Résister parce que les acquis actuels de l’Etat de droit ont été obtenus au prix de sacrifices énormes consentis par des patriotes engagés et l’ensemble du peuple malien depuis ce jour funeste du 19 novembre 1968 où un coup d’état militaire a renversé le régime du Président Modibo Kéïta et plonger le pays dans un gouffre dont il peine à sortir depuis : que de morts, de blessés, de vie brisée et de souffrance insoutenable au cours de cette longue lutte d’émancipation du peuple malien !!! Gloire à tous ses héros morts et vivants qui ont plus eu le souci des autres que d’eux-mêmes en se battant pour que soient une réalité dans notre pays l’égalité, la justice et la bonne gouvernance du pays au bénéfice de toutes et tous. Pour leur mémoire, nous devons continuer la lutte. Pour avoir joui des fruits de leur sacrifice, nous devons résister à la restauration de l’ordre ancien.
Résister aussi parce que nous avons le devoir de léguer aux générations futures un Mali qui fait notre fierté et dont elles seront fières, comme l’ont fait nos ancêtres depuis la nuit des temps, de générations en générations. De glorieux ancêtres dont l’épopée constitue aujourd’hui encore notre récit national, un récit qui fait notre fierté même si nous devons garder à l’esprit que « la gloire du père peut aider le fils mais n’est pas forcément la sienne » (dixit Hamadoun Touré dans son livre « Le Temps qui résiste »).
Résister n’est pas « mettre sa bouche dans une gourde » pour parler comme c’est trop souvent le cas actuellement chez nous, c’est exprimer publiquement son désaccord sur les décisions prises et les mesures mises en œuvre par nos gouvernants sans verser ni dans l’outrage, ni dans l’outrance.
Nous avons le devoir de résister et Hamadoun Touré a encore raison de dire dans son livre cité ci- dessus que « il n’est pas encore trop tard pour nous. Rien, absolument rien, ne fait de nous des condamnés à l’échec ». Les échecs de notre gouvernance des trois dernières décennies ne doivent pas nous décourager dans le combat pour aller de l’avant, ni servir de prétexte pour faire passer des mesures de gouvernance inacceptables. Sachons simplement tirer les bonnes leçons de nos échecs pour réussir notre combat pour le Mali.
Mon mot de la fin, l’esprit de toute l’analyse faite ici : rassembler toutes les filles et tous les fils du pays dans le respect des libertés fondamentales (d’opinion, d’expression, d’association et de manifestation) pour mettre en place ensemble une gouvernance émancipatrice, pertinente, juste, vertueuse et efficace est la seule voie de sortie de crise du Mali. Toutes les personnes averties ont conscience que toute autre déstabilisation du Mali en ce moment risque fortement de le conduire irrémédiablement à sa perte, et pour longtemps. Je souhaite donc vivement que les autorités de transition le comprennent et adoptent une autre posture que la répression aveugle et qu’ils libèrent sans délai les onze leaders politiques des parties signataires de la déclaration du 31 mars 2024 et toutes les autres personnes actuellement détenues pour des raisons politiques. Qu’elles s’engagent dans la voie de la restauration rapide de l’ordre constitutionnel sans laquelle le pays a peu de chances de sortir de l’impasse actuel. Engageons-nous tous fortement dans la voie du salut du Mali.
Konimba Sidibé, ancien ministre et ancien député