Échanges entre la CPI et les Communautés de Tombouctou : Si on n’a pas la paix …

Échanges entre la CPI et les Communautés de Tombouctou : Si on n’a pas la paix …

C’est avec un mélange d’excitation et d’appréhension que j’ai atterri au milieu du désert. Évoquer Tombouctou, la ville mythique des caravanes Touaregs et plaque tournante du commerce du sel au XV et XVIe siècle, ne laisse personne indifférent. Cependant, beaucoup oublie qu’en 2012, la « Perle du désert » a été sous le contrôle du groupe djihadiste Ansar Eddine après que l’armée malienne ait perdu le contrôle de la ville.

Très tôt le matin, nous avons laissé Bamako. Pendant près de deux heures dans un petit Antonov de la MINUSMA, la mission de maintien de la paix des Nations Unies, nous avons parcouru les 1000 km qui séparent Bamako, la capitale du Mali, de Tombouctou. Je regrette de ne pas voir notre atterrissage car je n’ai pas réussi à m’assoir près d’une des rares fenêtres de l’avion.

À la sortie de l’avion, la lumière blanche nous aveugle. Il fait 52 degrés au soleil, 45 degrés à l’ombre. Il fait encore plus chaud qu’à Bamako. Nous sommes au mois de mai, le mois le plus chaud au Mali. Nous ne pouvions pas attendre les mois où les températures sont plus clémentes. La présentation des preuves de la Défense dans l’Affaire Al Hassan a commencé une semaine plus tôt et nous devons rencontrer les communautés affectées pour les informer de cette étape importante du procès. M. Al Hassan est suspecté de crimes contre l’humanité et crimes de guerre prétendument commis à Tombouctou entre avril 2012 et janvier 2013. Il aurait été membre d’Ansar Eddine, commissaire de facto de la Police islamique et associé au travail du Tribunal islamique.

Mohamed et moi constituons la jeune et petite équipe de l’unité de sensibilisation du Bureau de la CPI au Mali. L’unité a été créée quelques mois plus tôt permettant à la Cour de faire le travail essentiel d’information publique et de sensibilisation auprès des communautés affectées et concernées. Rencontrer et échanger avec les communautés est probablement la partie de mon travail que je préfère et qui me donne le plus de gratifications. À travers notre travail de terrain, nous permettons à des communautés, avec peu ou pas d’accès à Internet, de voir la justice être rendue.

Je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre en rencontrant les communautés de Tombouctou. Je me demande quelles vont être leurs réactions. C’est la première fois que les communautés rencontrent une équipe pour lui parler de l’affaire Al Hassan. Nous allons également projeter la déclaration de l’aveu de culpabilité de Al Mahdi pendant laquelle il demande pardon aux Tombouctiens pour la destruction des mausolées et de la porte de la mosquée de Sidi Yahia. En 2016, M. Al Mahdi a plaidé coupable et a été condamné à neuf ans de prison. La peine a ensuite été réduite à sept ans. Dans l’ordonnance de réparation d’août 2017, les juges ont ordonné qu’à titre symbolique, ses excuses soient largement diffusées.

Une sécurité précaire

Je n’ai pas de doute que les activités vont bien se passer. La veille, les autorités locales nous ont exprimé leur soutien. Le Maire a souhaité que les 333 Wali (hommes saints) de Tombouctou nous accompagnent dans nos activités. « Nous ferons de la place dans la voiture », dis-je. Le Maire et mes collègues se mettent à rire. Pendant un instant, je redoute que mon commentaire ait été mal pris. Je regarde Mohamed, enfant du pays. Pas du tout, au contraire, il a été apprécié. Soulagement.

L’atmosphère est lourde. La situation sécuritaire de la ville est volatile. Et on nous le rappelle lors du briefing de sécurité, puis encore lorsque l’on nous amène dans les containers qui nous serviront de chambre. Nous sommes logés au sein du « Super Camp » de la MINUSMA. Nos chambres sont entourées de sacs de sable hauts de plus d’un mètre. Les deux fenêtres de la chambre sont en partie bloquées. À travers les fenêtres, on ne voit qu’un morceau de ciel.

L’officier de sécurité m’explique : « Quand tu entends l’alarme, tu as environ 30 secondes avant l’explosion. Tu te couches au sol. Dès que tu peux, tu te rends dans le bunker le plus proche. » Il avance de quelques mètres. « Voici le bunker le plus proche de ta chambre. Il y en a un peu partout dans le camp. Repère-les ».

Le bunker est un container sous une tour de sacs de sable. À l’intérieur, il y a des bancs et des ventilateurs.

Première session. Tout se passe bien avec les journalistes. Nous avons projeté plusieurs extraits d’audiences sur les deux affaires. L’aveu de culpabilité de Al Mahdi a été perçu de façon ambivalente : certains sont sceptiques sur la sincérité de ses excuses, d’autres disent le croire et accepter son pardon. La réaction des journalistes est similaire aux autres groupes que nous rencontrerons les jours suivants.

Fin de la deuxième session avec la société civile. Les participants quittent la salle et se dirigent à l’extérieur en petits groupes. Certains sont venus avec leur moto, d’autres ont pris les quelques taxi-motos disponibles en ville. Mohamed et moi nous dirigeons vers la cafétéria, quand soudain Mohamed, le téléphone à la main, me dit :

« Il y a eu une voiture de la MINUSMA qui a été la cible d’une attaque à 200 m du camp. Un participant vient de m’informer. Il a tout vu ! »

« Où sont les autres participants ? » est probablement la question que nous nous sommes tous posés. Notre officier de sécurité court vers le grand portail du Camp. Certains participants se sont réfugiés dans le bunker à côté de la sortie. Il prend les noms. Ils sont 11. Je prends la liste des présences et demande à Mohamed d’appeler tous ceux qui ne sont pas dans le bunker pour savoir s’ils vont bien. Tout le monde va bien, seulement un participant est tombé de sa moto pour se réfugier au moment de l’attaque.

« Est-ce que les participants de la troisième session vont se déplacer demain pour nous rencontrer ? », je demande.  Mohamed me rassure. Il a raison. Le lendemain matin, les participants viennent tous malgré mes craintes.  Nous avons dû, cependant, annuler les rendez-vous prévus avec des radios locales de l’après-midi.

Quatrième et dernière session avec les leaders religieux et les chefs de quartiers. Notre dernier jour. Cette fois, j’ai mis ma robe longue et mon foulard.  Nous avons décidé que Mohamed va mener la session en Songhoy, la langue locale. La majorité est intéressée par nos explications. À la fin des échanges, ceux qui n’ont probablement pas osé intervenir viennent nous saluer et commenter brièvement leur participation dans le processus de définition des mesures de réparations dans l’affaire Al Mahdi.

Des gouttes de pluies s’écrasent sur le sol. C’est signe de chance.  « Vous nous avez apporté de la pluie en cette période de canicule », dit un habitant.

Notre équipe, accompagnée de la sécurité et des casques bleus, continue au Centre Ahmed Baba. Je filme les traces de pluie sur le béton du Centre pendant que nous attendons la consultante de l’UNESCO qui forme les archivistes à la conservation des manuscrits. Je l’ai rencontrée quelques jours plus tôt dans le camp. C’est elle qui nous a permis d’organiser cette visite.

La visite commence. Le Directeur du Centre nous fait l’honneur d’être notre guide. Nous rencontrons les élèves formés sur les techniques de conservation. Ils construisent des boîtes pour l’archivage et la protection des manuscrits centenaires.

J’ai toujours la caméra à la main. Mohamed et moi filmons tout ce que nous pouvons depuis que nous sommes arrivés à Tombouctou pour documenter notre mission.

Nous descendons au sous-sol du Centre vers le dépôt. Une grande grille s’ouvre sur une galerie où quelques manuscrits sont exposés. On entre. Il n’y a plus l’écho des autres pièces. Une autre porte blindée s’ouvre. La pièce est remplie de bibliothèques en fer et de boîtes rouges, bleues, noires, vertes de toutes les tailles. Chaque boîte enferme un manuscrit.  Près de 100 000 manuscrits arabes datant depuis le 13e siècle sont conservés ici. La salle est fraîche. Le Directeur nous ouvre une boîte. En voyant ce manuscrit qui a traversé les siècles, les guerres, a survécu aux rongeurs et autres parasites, je suis émerveillée. Une partie de l’histoire de notre humanité est là, devant moi, fragile dans sa boîte.

Nous nous rendons au cimetière où trois mausolées parmi les 22 que comptent Tombouctou sont érigés. Ceux que nous visitons ont été détruits pendant l’occupation et reconstruits depuis. Leur destruction, en tant que bâtiment protégé et à caractère historique et religieux, est considérée comme un crime de guerre. C’est la première fois que la Cour poursuit une personne pour ce crime.

Nous traversons le cimetière, en contournant les tombes au sol et les pots en terre. Les mausolées sont au fond du cimetière. Je ne suis pas tranquille. Nous sommes assez exposés au milieu de ce cimetière. Devant et derrière nous, les casques bleus armés nous entourent. Ces mausolées, construits en terre crue et ornés de porte minutieusement décorée, accueillent les tombeaux de personnalités vénérées et considérées comme des Walis de Tombouctou.

La visite est rapide. Difficile de se poser alors que le lieu appelle au recueillement. On nous presse pour nous rendre à notre dernier lieu de visite : la Grande Mosquée de Djingareyber.

On suit à pied le fils de l’Imam dans les ruelles piétonnes du centre-ville de Tombouctou.  Les détails des portes des maisons sont magnifiques. Elles sont en bois sculpté et décorées avec des éléments métalliques forgés.

On entre dans la Mosquée, construite en banco, un matériau fait de terre cuite. Elle date du XIVe siècle. On découvre les longs couloirs sombres et les portes finement incrustées de cuivre et bronze. Nous ne nous attardons pas. Il n’y a pas de temps. On doit être de retour au camp avant le début de la tombée de la nuit, à 17h.

La visite de la Cité de Tombouctou m’a fait oublier les difficultés du matin et les tensions de la semaine liées à la situation sécuritaire. Je suis émue et excitée par tout ce que j’ai vu. Je sens que j’ai beaucoup de chance d’avoir pu voir Tombouctou. Avant 2012, Tombouctou vivait notamment des pèlerinages et des touristes. Aujourd’hui, il serait impensable pour un touriste de se rendre à Tombouctou à cause de l’insécurité qui prévaut dans la région. Je me demande quand la population pourra retrouver la paix et reprendre ses activités.

Je me rappelle alors les mots d’un archiviste en formation au Centre Ahmed Baba : « On peut avoir tout ce que l’on veut, si on n’a pas la paix, on ne pourra jamais voir le fruit de notre travail ».

Avec Margot Tedesco

Source CPI Mali

 

 

 

 

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